Bien manger sans se priver
Parce que je suis nutritionniste, certaines personnes peuvent supposer que je mange à la perfection. J’entends parfois « ça doit être facile pour toi, tu sais exactement quoi manger pour être mince et en santé ». Et je vous dis, entendre ça me fait le même effet qu’un bruit de craie qui grince sur un tableau d’école…
On parle tous de l’importance d’adopter de saines habitudes de vie. Bouger plus, manger mieux! De quoi parle-t-on exactement lorsqu’on parle de saine alimentation? Tout le monde n’a pas le même point de vue sur la question. Et si bien manger dépassait le contenu de notre assiette? Une saine alimentation ne consiste pas seulement à manger ses 5 à 10 portions de fruits et de légumes, des produits céréaliers à grains entiers, des viandes maigres ou des protéines végétales. Si c’est ce que nous a appris notre très cher guide alimentaire (dépassé, vous me direz?), il est maintenant temps d’élargir nos horizons.
« Pour le plaisir de bien manger en toute simplicité »
C’est la devise que je mets de l’avant, tant dans mon assiette au quotidien que dans mon travail. Parce que manger, c’est tellement plus que se nourrir. C’est une porte d’entrée sur une culture et la découverte d’un riche patrimoine alimentaire. Manger, c’est se réunir. C’est aussi pour le plaisir et pour la satisfaction qu’on en retire.
Les trois besoins reliés à l’alimentation
Lorsqu’on pense à une saine alimentation, on pense d’abord au besoin physique de se nourrir. En d’autres mots, combler les besoins de notre corps en divers nutriments et en énergie. Une alimentation équilibrée nous apporte les protéines, les lipides, les glucides ainsi que les vitamines et minéraux nécessaires au bon fonctionnement de notre corps. En consommant des aliments provenant des quatre groupes alimentaires et en variant les couleurs de notre assiette, on s’assure de consommer une variété de nutriments de manière à combler nos besoins. On vise donc à privilégier les aliments à haute valeur nutritive au quotidien.
Qu’en est-il des aliments à plus faible valeur nutritive? On a parfois tendance à les catégoriser comme de mauvais aliments, alors qu’ils sont tout aussi importants. Consommés à l’occasion, dans un contexte social, ou non, ces aliments nous procurent du plaisir et nous permettent de garder le cap. Ils viennent combler un besoin psychologique relié à l’alimentation. Pour maintenir une saine relation avec la nourriture, et donc une saine alimentation, il faut se permettre de manger tous les aliments souhaités, et d’éviter de les catégoriser comme de « bons » ou de « mauvais aliments ». Pour en savoir davantage sur les impacts de catégoriser les aliments, je vous encourage à lire ce billet de ma collègue Karine Gravel.
On ne peut parler d’alimentation sans parler du contexte dans lequel nous mangeons. Se réunir autour d’un repas savoureux nous permet de combler un besoin social tout en contribuant à la satisfaction que l’on retire de notre alimentation. Notre façon de cuisiner, de transmettre nos savoirs et nos savoir-faire, notre façon de partager un repas permettent de se bâtir une identité qui reflète nos traditions depuis plusieurs générations. Des épluchettes de maïs à la tourtière des fêtes, ces doux souvenirs qu’on associe à ces moments de partage, se reflètent aussi dans nos préférences pour les aliments que nous mangeons.
L’environnement
Il va s’en dire, ces trois besoins sont grandement influencés par l’environnement dans lequel nous mangeons. Il peut être plus difficile de privilégier les aliments de bonne valeur nutritive lorsque ceux-ci sont difficilement accessibles (une faible disponibilité ou des coûts trop élevés). Cet environnement peut aussi influencer la satisfaction et le plaisir qui entoure un repas. Notre habileté à cuisiner et préparer des aliments savoureux peut nous permettre d’atteindre un sentiment de bien-être et de plaisir lorsque nous mangeons nos aliments préférés. Lorsque l’accès à des aliments qui répondent à nos préférences personnelles et culturelles est limité, le plaisir ressenti s’en trouve affecté. Le contexte social dans lequel nous mangeons peut également influencer notre façon de manger. Qu’on mange seul ou en famille, les gens qui nous entourent peuvent avoir un impact sur la qualité et la quantité d’aliments que l’on consomme. Par exemple, si nous mangeons en compagnie de gens qui mangent plus que nous, nous risquons de dépasser notre point de rassasiement et manger plus qu’à l’habitude également.
Plaisir et culpabilité
Je vous parle de l’importance du plaisir relié à l’alimentation, mais parfois, ce plaisir entre en compétition avec la culpabilité. Lorsqu’on se prive de manger des aliments qu’on aime, le plaisir fait place à l’anxiété. On ne peut passer sous silence la pression des médias et des gens autour de nous qui valorisent une image corporelle parfaite qui ne correspond pas à la réalité. Cette pression sociale peut créer, chez certaines personnes, une préoccupation croissante quant à la saine alimentation et le désir d’être mince et en santé. Pour ces personnes, le plaisir de manger est bien souvent en conflit avec un sentiment de culpabilité. La satisfaction que l’on retire de notre alimentation et notre relation avec la nourriture est alors affectée. Pour en savoir davantage sur le plaisir de manger et la culpabilité, je vous encourage à lire cet article (plaisirs non coupables)
Le Guide alimentaire canadien, dépassé?
Peut-on dire que notre Guide alimentaire canadien (GAC) reflète ces trois besoins? Je ne crois pas. Il va s’en dire, le modèle d’alimentation proposé par le GAC est selon moi très directif. Basé sur une méthodologie très rigoureuse, le GAC voit à ce que les Canadiens comblent leurs besoins en nutriments (besoin physique). Qu’en est-il du besoin psychologique et social? Comme le GAC est un outil éducatif destiné à l’ensemble de la population, il serait intéressant que celui-ci reflète également le contexte dans lequel nous mangeons, de même qu’il laisse place à des aliments plaisirs, c’est à dire des aliments, parfois de moins bonnes valeurs nutritives, que nous mangeons à l’occasion simplement pour le plaisir.
Et si bien manger dépassait le contenu de notre assiette? Bien qu’il soit important d’adopter de saines habitudes de vie et une saine alimentation, bien manger n’a pas comme seule finalité la santé. En tant que nutritionniste, j’ai parfois l’impression que les gens s’attendent à ce que mon assiette soit un modèle d’alimentation santé. Ce n’est pourtant pas ce que je tente de mettre de l’avant dans mon travail, et dans mon assiette au quotidien. Oui je mange des fruits, des légumes et des produits céréaliers à grains entiers, mais je mange aussi des chips, du chocolat et de la crème glacée quand j’en ai envie et j’ai du plaisir à savourer ces aliments qui, pour moi, font aussi partie d’une saine alimentation.
Êtes-vous parmi ces personnes qui vivent une relation plus difficile avec la nourriture et pour qui le plaisir de manger est bien souvent en conflit avec un sentiment de culpabilité? Si c’est le cas, n’hésitez pas à me consulter pour retrouver une saine relation avec la nourriture. Parce que manger, c’est tellement plus que se nourrir. Manger, c’est se réunir. C’est aussi pour le plaisir et pour la satisfaction qu’on en retire.
Sources
Santé Canada. Guide alimentaire canadien. http://www.hc-sc.gc.ca/fn-an/food-guide-aliment/index-fra.php
Bouchard A. et al. Service de la promotion des saines habitudes de vie, ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Vision de la saine alimentation. 2010.
Les 5 dimensions de la saine alimentation. http://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/saines-habitudes/vision/cinq-dimensions-saine-alimentation. Mise à jour 27 novembre 2015
Karine Gravel. Quelles sont les conséquences de catégoriser les aliments comme « bons » ou « mauvais »? http://www.monequilibre.ca/mon-alimentation/107-categoriser-aliments-bons-mauvais. 14 octobre 2015
Wansink, “Environmental Factors That Increase the Food Intake and Consumption Volume of Unknowing Consumers”, Annual Review of Nutrition, vol. 24, 2004, p. 455-479.
P. Herman et J. Polivy, « Normative influences on food intake », Physiology & Behavior, vol. 86, n° 5, 2005, p. 762-772.